Mémoires

A l’automne 1958, Guy Ernest Debord confiait à un imprimeur de Copenhague le tirage limité de son premier livre, intitulé Mémoires. Durant plusieurs décennies, celui-ci ne fut distribué qu’en potlatch – ce “cadeau somptuaire, qui met l’autre au défi de donner en retour quelque chose de plus extrême “, ainsi que l’écrira l’auteur. Dix ans après le suicide de Debord, une nouvelle édition en fac-similé (la première, parue aux Belles Lettres en 1993, est aujourd’hui épuisée suite à un incendie), augmentée de la postface “Attestations” (1) et de documents inédits, rend de nouveau visible l’ouvrage le plus intrigant de l’initiateur du situationnisme. “Livre d’amour relié en papier de verre, qui déchire la poche et des rayons entiers de bibliothèque” selon le peintre Asger Jorn (2), Mémoires est, comme l’indique la page de titre, “entièrement composé d’éléments préfabriqués” – morceaux de phrases de provenance non précisée, photos, plans de villes ou de bâtiments, découpés et collés sur une cinquantaine de pages, dans un chaos apparent. A ces collages, Jorn a superposé des “structures portantes” : taches, coulures et tracés dans diverses encres de couleur. Mémoires n’est cependant pas qu’un simple exercice artistique, si passionnant soit-il ; découpé en trois parties (juin 1952, décembre 1952, septembre 1953), il retrace avec les mots des autres trois moments intimes : une expérience amoureuse (période qui se clôt sur la projection du premier film de Debord, Hurlements en faveur de Sade), la vie de la petite tribu lettriste du café “Chez Moineau”, enfin l’expérience de la dérive dans la ville qui débouchera sur la création du mouvement situationniste.